Sa voix lointaine, si calme et grave, résonnait parmi les statues. “J’y serais avant eux, car quand ils suivent les cotés du triangle rectangle, je file sur l’hypoténuse.” Oh non...comment je m’étais retrouvée ici…? Ce matin je me suis levée complètement paumée. A l’agenda de mon cerveau, une seule entrée : “se rouler en boule sous la couette en espérant que tout s’efface”. Et je me suis levée, par la force de l’habitude, en dépit des sirènes hurlantes et des alertes rouges qui hurlaient dans mon esprit. En pilote automatique, j’ai salué des gens et je me suis servi café sur café. Le commandant m’a demandé dans son bureau. Ma machoire était de plomb et je n’arrivais pas à lui dire ce que ma fonction me sommait de lui dire, à savoir la rencontre de la veille. C’est lui qui prend la parole en regardant ailleurs et en dressant un dossier jaune qui n’est pas dans nos normes : “Du grain à moudre pour clore définitivement l’affaire K. Ca vient d’Interpol. Votre Aristarque est dans l’informatique je pense. Il y a quatre ans, il y a eu une conférence ou une réunion au sommet des chercheurs en informatique. Apparemment ils étaient hébergés dans un grand hotel, mille chambres. Regardez-moi ça.” Les photos sont en couleur sur du papier glacé. La Suisse. La fille a été malmenée. Elle git dans la chambre, sur le ventre, encore habillée de sa tenue de femme de ménage. Un K sanglant sur le dos. “Dans la chambre de votre suspect. Les fichiers informatiques ont été effacés, mais vous connaissez les suisses, ils aiment les petites fiches écrites à la main.” Ca ne collait pas avec l’histoire d’Aristarque mais je m’en moquais à un point difficilement imaginable. J’ai refermé le dossier en disant simplement : “affaire conclue” et ces mots détendirent mon interlocuteur. Je me suis assise à mon poste, les bras ballants entre mes jambes, comme un singe, aurait dit Gibier. J’ai collé ma joue contre le bureau, et j’ai souhaité que ma langueur disparaisse. Bon, débarassons nous du dernier poids. J’envoie un texto à Cassandre qui dit : “Je ne pourrai pas surveiller la prison comme demandé hier. Désolée.” Et j’allais écrire la suite qui disait “Merci de ne plus jamais me recontacter” quand sa réponse vient : Je suis déjà sur le sujet. Merci d’avoir essayé. Alors que je n’avais même pas essayé. Cela me mettait en colère ! Du coup une intuition m’aiguillonne et j’appelle un copain au trafic urbain pour savoir s’il n’y avait pas de trafic anormal du coté de la prison militaire - il faudrait quoi...un tank pour sortir le vieux schock de ce machin. On parle deux minutes des séries de la veille, il arrive à me spoiler et ça ne me fait absolument aucun effet, et il me dit en riant qu’ils ont un spectaculaire excès de vitesse en cours de surveillance - une alpine bleue. Une alpine bleue, que je lui dis, le souffle court. Et elle va vers où ? Je bascule sa ligne sur mon portable. Et je lance mes jambes pour marcher plus vite vers mon véhicule. C’est à lui d’avoir le souffle court et de me raconter une course poursuite à trois temps, avec des conduites intérieures bondissantes dans les minces rues de Paris, l’alpine, et un véhicule de police. Un hélicoptère allait décoller, les caméras de surveillance étaient au taquet. Ils plongent tous dans le tunnel des Halles...et puis c’est tout. Mon copain que j’agaçais avec mes demandes me dit que les caméras sont foutues et il me raccroche au nez. Alors je prends ce fichu tunnel, et je joue la sympathie pour passer la barrage qu’ils viennent de dresser. Je roule au pas. La poursuite a du être violente...des voitures ont été projetées sur les cotés et, éberlués, leurs conducteurs s’extirpent de l’habitacle, hésitants. Je freine quand on ouvre ma porte. Eclairée dans son dos par un projecteur du tunnel, elle a cette présence christique irréelle qui lui est propre. “Vous avez pu vous libérer finalement ? Votre aide sera appréciée je pense.” Je balbutie quelque chose que j’ai déjà oublié. Le tunnel s’ouvre sur une voie de maintenance que nous parcourrons à pied. C’est là qu’est son alpine, un éclair bleu dans l’obscurité et la poussière. Et nous poussons une porte de métal antique. Et nous voilà dans la rue - ou presque tout est normal, si je n’étais pas avec Le Ruban Bleu. Il y a ici une demeure étrange...gothique, comme une église tronquée. Elle en pousse la porte - c’est bien une ancienne église et mes yeux ont du mal à s’habituer à la pénombre diffuse : je vois des statues, des bancs, et, devant un halo de bougies mourantes, l’américain terrifiant d’hier. Mon coeur s’arrête de battre. Il dit avec sa voix toujours décontractée, chantante : “Aristarque n’est plus là.” “Je sais.” - elle est sèche, mais elle est forte. “Oh, et vous savez où il est ?” “Vous le livrez à K. “ “Je vois que cela vous laisse de marbre. Dois-je en conclure que vous levez le drapeau blanc ?” “J’ai tout mon temps. Car je sais où est K...et...j’y serai avant eux, car quand ils suivent les cotés du triangle rectangle, je file sur l’hypoténuse.” Elle fait un pas en avant. “Je vais d’abord m’occuper de vous.” SUITE |