J’ai tapé “Cirque” dans la barre de recherche de Google et j’ai croisé les bras d’un air entendu en sirotant un petit café pris à la machine. Je soupire, parce que non seulement la navigateur de mon ordi pourri du bureau prend deux plombes pour m’afficher les résultats, mais en plus je m’aperçois que j’aurais du taper “Cirque Paris”, donc que je vais devoir re-attendre deux plombes ensuite.

Au matin, les collègues ont été aux petits oignons avec moi. D’ailleurs, c’est pas moi qui suis allée chercher mon deuxième café, alors que d’habitude c’est plutôt moi qui vais le chercher pour les autres. La scène macabre de la veille a du bousculer l’aimable Daphné, qu’ils ont du se dire.

En fait les choses tournent plutôt bien pour l’aimable Daphné.

Parce que je n’ai “presque pas” écopé de l’affaire au K. Mon chef est très cool, souvent on se voit à la machine à café et on se tape dans la main ou on discute des émissions culinaires. Parfois on est de très bonne humeur et on se fait un petit pas de danse. Là il a été grave (mais on était quand même à la machine à café donc c’était relax) et il m’a dit qu’il confiait l’affaire à un autre gars, mais que j’étais dans la boucle puisqu’en fait ben j’ai découvert la scène.

Cela m’a oté d’un gros poids, franchement. Et juste après avoir tapé “Cirque Paris” j’ai fait l’inventaire mental de toutes les séries TV que j’allais regarder ce soir tranquilou sous ma couette en mangeant des chips au lieu de suer sur un dossier de tueur sadique.

Mon téléphone vrombit.

Image flottanteUn texto. D’une personne appelée Alphée. Mais je n’ai pas de contact à ce nom - oh, pas possible ! - le zigue du balcon d’hier. Le suspect, en fait. Cela me rappelle que je n’ai rien dit à ce sujet. Donc l’enfoiré me pique mon téléphone, efface la photo que j’ai pris de lui, puis met son contact tranquille le chat dans mon carnet d’adresse et m’envoie des textos. Et qu’est-ce qu’il dit :

Merci de me donner les conclusions de l’équipe scientifique

Alors là, il peut rêver. Je me lève péniblement (je me suis assise il y a même pas dix minutes) et je prends mon téléphone, bien décidée à le porter au collègue qui s’occupe de l’affaire du K.

Buzz :

Et avant de parler de nos échanges verbaux d’hier et de nos échanges textuels d’aujourd’hui, merci d’évaluer la gravité de la situation pour vous.

Il flippe, tant mieux. J’ai ton numéro, mon petit gars. Cela va être à toi de t’expliquer. J’appuie sur le bouton de l’ascenseur. On dirait qu’il est bloqué. Je regarde mélancoliquement la cage d’escalier, sans courage.

Vrombissement :

Ils sont gentils avec vous comme on couvre de doux mots un veau qui va à l’abattoir.

Bon, c’est vrai qu’ils ont tous été gentils.

Ouais, c’est pas faux. D’habitude ils sont sympas. Aujourd’hui, ils étaient gentils. La différence est perceptible, surtout quand comme moi on a trop de gras et pas assez d’affection. Nerveuse, j’appuie dix fois peut-être sur le bouton de l’ascenseur.

Vrombissement :

Regardez qui habite le deuxième étage de l’immeuble.

Okay, cet ascenseur veut pas venir, alors je refais quelques mètres jusque dans mon bureau. Je me rassieds avec soulagement, et je jette des regards en coin, rencontrant les visages gentils. J’ai pas le dossier en main mais je me souviens de l’adresse. Je tapote avec deux doigts sur l’ordinateur, encore très long, mais mon café n’est est encore à finir.

Donc au deuxième étage de l’immeuble en question se trouve...je peux pas le dire, mais c’est, vous savez, ce politique. Le type volage qu’on voit tous les quatre matins au bureau du cinquième et qui vient serrer la pogne au chef parce qu’on l’a surpris à embarquer la jeune fille qu’il faut pas sur le périph. Celui qui fait les soirées déplacées dans les endroits payés par les impôts. Celui qui tient toute la hierarchie par les noix d’une façon ou d’une autre, puisqu’il devrait être en prison (ou du moins, au chômage) et qu’il tient pourtant une des plus hautes places de l’État.

Et donc oui, le lien avec une jeune femme nue tombée de haut se fait tout de suite. Et d’autres encore. Le fait que si quelqu’un doit sauter, autant que ce soit la grosse Daphné, de toute façon, elle est sympa - donc, je suis dans la boucle, comme ils disent, mais pas trop pour pas avoir le contrôle sur l’histoire. Pfff, je sentais que çà allait être très compliqué, très pénible, et que les chips et les séries TV, ce ne serait pas pour ce soir.

Déconfite, je prends sans force le téléphone qui vrombit impérieusement :

C’est l’affaire de votre vie.
Si vous vous plantez, c’est fini pour vous.
Mais si l’homme qui habite au deuxième étage est innocent et que vous arrivez à le prouver, tout ce que vous avez jamais souhaité vous arrivera.


Je vais me chercher un café, encore, le temps de réfléchir. Quand je reviens, encore un message.

Et j’ai la ferme intention de vous y aider.

Je venais de me dire que c’était peut-être une âme damnée du politique pour le disculper. Mais non, c’était l’ange que j’avais suivi...et je l’ai vu à l’oeuvre, je le déteste, mais c’est pas un mauvais...bon, si on vient me chercher des noises, je dirai qu’on m’a volé mon téléphone.

Je passe une bonne heure à discuter le bout de gras avec le gus qui a écopé du dossier. Je fais ma gourde et je demande à voir le dossier. Je ris bêtement, mais quand je m’y mets, je suis un vrai ordinateur et je mémorise tout ce qui a dans le dossier en faisant l’air de rien.

Enfermée dans les toilettes, j’envoie discrètement les infos du dossier :

- Il s’agit d’une jeune fille en bonne santé (en faisant abstraction du fait qu’elle soit aujourd'hui morte), d’un âge compris entre 25 et 30 ans.
- Ecrasement de la cage thoracique suite à une chute, peut-être involontaire. La mort a été immédiate.
- La distance entre le corps et le bord de l’immeuble ne permet de conclure si elle été poussée ou qu’elle a sauté d’elle-même.
- On ne sait rien de la jeune fille. Aucune disparition correspondant à son profil n’a été signalée. Il n’est pas impossible qu’elle soit une immigrée non contrôlée d’Europe de l’est.
- le K dans son dos a été fait avec une arme tranchante grossière, mal aiguisée, avec une lame d’environ 3 cm de largeur pour une profondeur de 2,5 cm. Le K a été tracé post-mortem.
- La “neige remuée” devant le corps ne ressemble à aucun signe distinctif d’un animal, il n’est pas expliqué. On a toutefois trouvé dans les empreintes un poil qui s’est avéré être un poil de plume. (donc de pigeon probablement).
- L’inconnue a une blessure par entaille juste sous le genou.
- Personne n’a rien entendu. Le quartier, est, soi-disant, calme.



J’ai mis un temps considérable à tout taper, je me sentais mal pour plein de raisons.
J’ai une phase de flippe totale, puis je me dis que grâce à cela, je vais me rapprocher de cet interlocuteur qui est un suspect. En fait, je mène l’enquête. De main de maître.

La réponse est venue quasi immédiatement :

Merci pour votre confiance.
Nous avons besoin d’une certitude sur le poil de plume. Je vais vous transmettre le contact du professeur Gibier, un expert en ornithologie qui vous sera d’une grande aide.
Apportez-lui l’élément et recontactez moi pour me faire part de ses conclusions.


J’étais assise sur les toilettes et je venais de m’apercevoir que j’avais désormais deux patrons.

Attendez...le professeur Gibier, expert en oiseaux ? J’ouvre la porte des toilettes d’un coup, en colère, m’attendant à ce que tout l’open space explose de rire de la bonne farce qu’ils m’avaient fait.

Mais non, encore une fois, les visages gentils et compatissants.

Le téléphone vrombit, me transmettant l’adresse dudit professeur. Alors j’ai décidé d’un compromis pour ce soir : j’irai voir le professeur, mais je passerai acheter des chips sur le chemin.


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